(Histoire sur les abus sexuels – Fichier téléchargeable à la fin du texte)
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© Texte et dessins d’Emma Baron
Les personnages de l’histoire : Manon (c’est elle qui raconte l’histoire) et Jade
Chapitre 1
Attrape-chaussettes

Comme c’est bientôt les grandes vacances, on ne fait que des jeux à l’école. Et aujourd’hui, on joue à attrape-chaussettes ! Notre maître nous a réunis sous le préau.
— Tous en chaussettes ! nous demande-t-il en frappant dans ses mains. Vous en enlevez une et vous la coincez en haut, à l’arrière de votre pantalon.


Tous les élèves obéissent dans la bonne humeur. Attrape-chaussettes, c’est comme jouer à chat.

— On dirait que j’ai une queue rouge, me lance Jade.
— Oui, et la mienne est jaune !
Puis, notre instituteur nous explique :
— Je rappelle la règle. À mon coup de sifflet, vous devez voler « les queues ». Les trois élèves qui en ont le plus, gagnent la partie. C’est compris ?
Nous crions tous un grand OUIIIIIII. Le jeu commence. Je cours super vite et j’arrive à en décrocher cinq ! Mais soudain, j’entends Jade crier. Je vais la voir. Elle n’a pas l’air content du tout. Un garçon, en voulant décrocher sa chaussette, a failli lui baisser son pantalon !
— Je suis désolé ! J’ai pas fait exprès, s’excuse Léon tout de suite.
Jade lui pardonne. La voilà qui reprend sa chaussette et lui vole la sienne.


— Hé ! Tu triches ! s’exclame Léon en la poursuivant.
Mais Jade est déjà loin. Elle rafle toutes les chaussettes ! Quand la partie est terminée, notre instituteur s’exclame :
— C’est Jade, Manon et Nathan qui ont gagné !

À la récré, Jade et moi, nous nous installons sur un banc. Elle dévore les biscuits au miel que lui a fait sa grand-mère.
— Bah, tu manges pas ? me demande-t-elle, surprise. Tu en fais une tête alors qu’on a gagné la partie…

Je n’ai pas très faim. Je ne me sens pas très bien. Cette histoire de pantalon, ça m’a rappelé un souvenir. Un très mauvais souvenir.
Chapitre 2
Confidences
Dans ma famille, il y a un homme que je n’aime pas du tout. Il me fait très peur. Je me pose des questions sur ce que cet homme m’a fait. Je demande à Jade, un peu embarrassée :
— Dis, je peux te poser une question ?
Jade arrête de manger et se tourne vers moi.
— Bien sûr que tu peux tout me demander !

Je rougis. Je respire un grand coup et je me lance :
— Dis, est-ce que on t’a déjà touché là ?
Je montre mon entrejambe.
— Non ! répond aussitôt Jade, choquée.
Je suis surprise par la réponse de Jade. Ça me rend triste aussi. Je continue à lui poser des questions :
— Tu crois que c’est normal ?
— Je sais pas… mais je peux demander à ma mamie, elle sait tout !
Ça me fait peur que Jade en parle à sa grand-mère.
— Tu diras pas que c’est moi, hein ?
Jade me serre dans ses bras.
— Pourquoi pas ? Si ça te rend triste ?
— Parce que je veux pas ! Promets-moi que tu lui diras pas…
Jade fait la moue mais elle accepte.


C’est la fin de la journée. Quand je rentre chez moi, je monte dans ma chambre. Mais j’ai dû mal à faire mes devoirs. Je n’arrive pas à me concentrer parce que je n’arrête pas de penser à mes mauvais souvenirs. Ce que j’ai hâte de voir Jade demain ! J’espère que sa grand-mère saura répondre à mes questions.
Chapitre 3
Le numéro rouge
Quand je me réveille, je suis fatiguée. J’ai fait un horrible cauchemar.

Encore ce maudit souvenir ! Cet homme me fait si peur que j’en rêve la nuit. Je mange en vitesse mon petit-déjeuner et je file à l’école.
Jade m’attend devant la grille. Elle agite un papier dans sa main.

— Salut ! J’ai pensé à toi. J’ai demandé à ma mamie et elle m’a donné ça pour toi.
C’est un article de journal. Mon cœur bat très vite. Je lis le début rapidement en me mordant les lèvres. Puis, je lis plus doucement :
Les abus sexuels ! Parlons-en !
Tu as des parties intimes : la bouche, la poitrine, le sexe et les fesses

Aucune personne n’a le droit de toucher les parties intimes des petites filles et des petits garçons
Aucune personne n’a le droit de te faire toucher ses parties intimes à elle.
Aucune personne n’a le droit de faire du mal à ton corps.
C’est interdit !

Parfois quand on est un enfant, c’est difficile de savoir ce qui est normal ou pas, surtout si c’est quelqu’un qui est proche de toi.
Parfois, cette personne peut te faire très peur.
Parfois cette personne peut mentir. Elle peut te dire que quelque chose de grave va arriver si tu dis non ou si tu en parles.
Alors si tu es malheureux, si tu te poses des questions, si tu ne sais pas ce qu’une personne te fait, est bien ou mal, DEMANDE à un adulte : ton instituteur ou quelqu’un de ta famille que tu aimes bien par exemple.
Tu peux aussi nous appeler au 119 ! On saura répondre à tes questions !

Les grands peuvent tout comprendre, tout entendre.
Ils sont là pour t’écouter, t’aider et te protéger.
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Je plie la feuille en quatre et je la glisse dans mon cahier. Je commence à comprendre que ce n’est pas normal ce qu’il m’a fait. Mais je n’en suis pas sûr… Jade est inquiète pour moi. Elle me propose :
— Tu peux peut-être en parler avec ta maman ?
Mais je n’ai pas envie de lui en parler. J’ai trop peur de me faire gronder. Et puis, elle le sait. Elle l’a vu me faire ça et elle n’a rien dit.

— Non, je préfère pas…
— Tu devrais appeler alors, me conseille-t-elle en refaisant ses lacets.
Il faut que j’y réfléchisse. La cloche sonne.
Nous nous dépêchons d’aller en classe. Pendant la leçon, je n’arrête pas de penser au numéro rouge. Est-ce que je devrais appeler ?

Chapitre 4
Monsieur Jarot
Le soir, je cours chez moi et je m’enferme dans ma chambre.

Je ressors l’article de mon cahier. Je lis et je relis ce qu’il y a écrit. Je repense à mes souvenirs. Il faut que j’en ai le cœur net. Il faut que je sache ! Est-ce que c’est normal ou pas ?
Je vais dans la cuisine chercher le téléphone et je remonte dans ma chambre. Je ferme la porte.

J’ai les mains moites. J’hésite à appeler. J’ai peur. Mais au pire, je n’aurai qu’à raccrocher ! Bon, je me décide… J’appelle ! Ça sonne.

— Le 119, j’écoute !
C’est une voix d’homme. Il a l’air gentil. Il a une voix qui chante.
— Euh… Bonjour…, dis-je avec ma voix qui tremble un peu.
— Bonjour mademoiselle ! Comment tu t’appelles ?
Je veux pas lui dire comment je m’appelle. Alors je lui demande en triturant une mèche de mes cheveux :
— J’ai juste une question à vous poser…
— D’accord ! Pose-moi toutes les questions que tu veux !
Je prends mon courage à deux mains.

— Est-ce que c’est normal qu’on me touche là… enfin je veux dire, ici… enfin, vous comprenez ?
— Là où tu fais pipi ?
Je suis gênée mais tant pis.
— Oui… et sur la poitrine aussi.
Il me répond du tac-o-tac.
— Non, ce n’est pas normal. Personne n’a le droit de te toucher. C’est interdit !
Ça y est, j’ai ma réponse ! L’homme me demande :
— Tu veux bien me donner ton nom et ton adresse ?
J’ai trop peur. Je lui demande :
— Est-ce que mes parents vont savoir que je vous ai appelé ?
— Non, ma grande, ils ne le sauront pas. Tu veux bien me dire au moins ton nom ?
Mais, je refuse.
— Non, je veux pas vous le dire…
— D’accord. C’est quelqu’un de ta famille qui te fait ça ?
— Oui…
— Alors tu sais ce qu’on va faire ? Je vais te donner mon nom à moi. Tu vas apprendre le numéro 119 par cœur. Comme ça, s’il recommence ou si tu ne te sens pas bien, tu m’appelleras, d’accord ? Promis ?
Je serre fort le combiné contre mon oreille.

— Promis !
Puis, j’attrape mon cahier. J’écris son nom : monsieur Jarot. Je suis encore un peu bouleversée mais je sens un poids énorme qui vient de s’enlever. Je me sens mieux. Beaucoup mieux !
Chapitre 5
Les biscuits au miel
Le lendemain, je raconte tout à Jade.

— Oh, je suis contente que tu l’aies fait ! Ma grand-mère proposait d’appeler pour toi…
Je lui demande, catastrophée :
— Tu lui as pas dit que c’était moi ?
— Non, me rassure Jade, mais tu sais, elle m’a dit qu’il fallait pas que tu gardes ça pour toi. Elle veut t’aider aussi. Et puis tu aimes tellement ses biscuits. D’ailleurs, tiens, elle en a fait pour toi.

Elle me tend un petit sachet transparent avec une dizaine de biscuits dorés à l’intérieur.

— Merci ! C’est gentil de sa part. Je vais y réfléchir, d’accord ?
Puis, nous allons en classe. Comme c’est le dernier jour d’école, notre instituteur nous montre un dessin-animé. Mais je n’écoute pas l’histoire. J’ai peur.

Demain, je vais revoir celui qui me fait du mal. Et maintenant que je sais que c’est interdit, je ne veux pas qu’il recommence !
À la fin de l’école, Jade et moi, on se dit au revoir.
— Je t’écrirai, me dit-elle en prenant mes mains dans les siennes.
— Moi aussi.
— Tu rappelleras monsieur Jarot si ça ne va pas ?
— Oui. J’ai appris le numéro par cœur.

Nous nous serrons fort dans les bras. Et puis nous rentrons chacune de notre côté.

Le soir, dans mon lit, je n’arrive pas à dormir. Je me souviens d’autres mauvais souvenirs. Je lui en veux beaucoup de m’avoir fait autant de mal depuis que je suis toute petite. Et j’ai mal au ventre de devoir aller chez lui demain. Je pense fort à Jade et à monsieur Jarot. Maintenant, je sais que je ne suis plus toute seule.
Le lendemain, après un long voyage en voiture, j’arrive chez lui.


Il fait déjà chaud et les poules picorent dans la cour de sa maison. Il est là. J’en ai pas envie mais ma mère me force à lui dire bonjour. Tout le monde entre et on mange le repas de midi en regardant la télévision.
Et puis, l’après-midi il vient me chercher dans le jardin.

C’est l’heure de la sieste. Je sais qu’il veut me faire du mal. J’ai le cœur qui bat fort. Je pars en courant. Je prends le téléphone dans l’entrée et je m’enfuie avec.

Je me cache sous un arbre. J’appelle monsieur Jarot. Il décroche.
— Allô ?
— C’est moi… celle qui voulait pas dire son nom… lui dis-je en pleurant.
— Oui, je me souviens de toi… Tu veux me dire ce qui ne va pas ?
J’essuie mon visage sur mon pull.
— J’ai peur… Je m’appelle Manon et je veux bien vous donner mon adresse.
Chapitre 6
Les gens du numéro rouge

Le lendemain, j’évite le plus possible de le voir. Je dessine et j’écoute de la musique. J’écris à Jade presque tous les jours. Et elle aussi, elle m’écrit.
Quelques jours plus tard, ma mère me demande de monter dans la voiture. Je me demande où elle m’emmène. J’ai un peu peur. On entre dans un vieux bâtiment. Puis, à l’accueil, une dame nous conduit dans un grand bureau où il y a plusieurs adultes assis autour d’une grande table.

Une femme aux cheveux blonds et un homme tout mince me sourient. Un monsieur avec une chemise à carreaux me tend la main.
— Bonjour Manon, me dit l’homme à la voix qui chante. Je suis monsieur Jarot. Installe-toi.
Ça alors ! Monsieur Jarot ! Comme je suis contente de le rencontrer !
— On va discuter tous ensemble, d’accord ? me dit-il.
Je suis un peu tendue mais je suis heureuse que l’on m’écoute. L’homme mince sort un petit cahier et un stylo. Monsieur Jarot me demande :
— Tu veux bien tout nous raconter depuis le début ?
Alors je lui dis tout, tout ce que cet homme m’a fait. Ma mère écoute. Elle explique avec une voix triste :
— Je ne comprends pas. Il m’a fait pareil… Ce n’est pas si grave…
Mais la dame blonde n’est pas d’accord avec ma maman. Elle lui répond gentiment :
— Si madame. C’est grave ! On ne touche pas un enfant. Il n’avait pas le droit de lui faire ça.

Puis, la dame me dit en prenant ma main dans la sienne :
— Et maintenant, on va tout faire pour t’aider !
Chapitre 7
Plus jamais !
C’est la rentrée. Le ciel est tout bleu. Jade m’attend devant la grille. Je suis contente de la revoir.

Quand elle me voit, elle court vers moi. Elle me demande à brûle-pourpoint :
— Tu as rappelé monsieur Jarot ?
— Oui ! Maintenant, il y a deux personnes qui viennent chez moi pour me parler.

En marchant vers la classe, elle me demande, inquiète :
— Et ils sont gentils ?
— Oui, très !
Jade s’arrête pour me demander :
— Tu sais, ma grand-mère aimerait beaucoup te rencontrer. Tu veux venir chez moi après l’école ?
Maintenant, je n’ai plus peur de parler. Alors, j’accepte !
Après l’école, nous allons chez Jade.

Dans la cuisine, sa grand-mère m’offre un chocolat chaud. Puis, elle m’enveloppe dans son châle rose bonbon, et elle me dit :

— Tu sais Manon, sache que tu seras toujours la bienvenue ici. Tu pourras toujours venir me parler si tu en as besoin. D’accord ?
Ce que je me sens bien chez elle. Je lui réponds sans hésiter :
— D’accord !
Elle me serre fort dans ses bras. Maintenant je n’espère plus qu’une chose : ne jamais revoir l’homme qui m’a fait du mal !
Les jours passent. Ma mère m’emmène voir un policier.
C’est un gros monsieur avec des lunettes et une moustache. Il m’invite à m’asseoir et me dit avec beaucoup de gentillesse :
— Tu vas juste me dire tout ce dont tu te rappelles, d’accord ?

Alors, je lui dis tout. Et il note tout sur son ordinateur. Puis, je lui demande pour être bien sûr :
— C’est pas normal qu’il m’ait fait ça, hein ?
Le policier enlève ses lunettes. Il me dit en me regardant droit dans les yeux :
— Non, il n’avait pas le droit ! Et je t’assure que plus jamais, il ne recommencera !
Quand l’entretien est terminé, je rentre chez moi avec ma mère. Elle serre fort ma main dans la sienne.

Elle s’arrête de marcher et me dit en me regardant tendrement :
— Je suis désolée de ne pas avoir compris. Je te demande pardon. Plus jamais, tu ne le reverras, d’accord ?
Puis, elle me sert fort dans ses bras. Comme je suis soulagée ! Parce que ça y est, c’est terminé ! Plus jamais, je n’aurai à subir ça ! Plus jamais, je ne le reverrai ! Je me sens libre, libre comme un oiseau.

Chapitre 8
Le carnet bleu
Je suis chez moi en train de dessiner quand le téléphone se met à sonner. C’est Jade.

— Tu veux venir à la maison ? me propose-t-elle avec une voix enjouée.
Je vais voir ma mère dans le salon pour lui demander :
— Bien sûr ! Je vais t’emmener.
Sa grand-mère nous ouvre la porte.

Elle nous emmène dans la cuisine. Il y a des biscuits au miel et ça sent bon le café.
Elle invite ma mère à s’asseoir. Elle lui offre à boire en souriant. Puis, elle me tend un joli carnet tout bleu avec des arabesques dorées dessus.

— Tiens, c’est pour toi Manon. Pour que tu y mettes tous tes bons souvenirs ! Tout ce qui te rend heureuse. Tout ce que tu aimes.

Je suis très touchée par son cadeau. Je passe mes mains sur la couverture.
— Merci, il est très beau.
Ma mère me propose :
— Demain, on peut aller au magasin acheter une jolie boîte de peinture.
Je suis tellement heureuse !
Et je sais déjà ce que je vais dessiner ! Je me tourne vers Jade :
— Tu veux bien me prêter tes crayons de couleur pour le moment ?
Pendant que ma mère et sa grand-mère discutent ensemble, Jade m’emmène dans sa chambre.
Je m’allonge sur son lit. J’ouvre le carnet. Jade me tend sa boîte de crayons. Curieuse, elle me demande :
— Tu vas dessiner quoi ?
— Attends ! Tu vas voir !
Je m’applique à faire les formes, puis j’ajoute la couleur.
— Voilà, maintenant tu peux regarder.

FIN
Pour aller plus loin
Idées d’activités en classe :
- Faire nommer les différentes parties du corps / y mettre le signe interdit
- Réflexion autour du secret : les bons et mauvais secrets. A-t-elle raison, Jade, de garder le secret de Manon ?
- À qui dire que l’on ne va pas bien ? l’instit, une personne de sa famille, au 119
- Faire un classement normal / pas normal de scènes de la vie familiale (exemples : montrer des films qui ne sont que pour les grands / demander de se deshabiller pour mettre son pyjama / toucher les parties intimes)
- Aller plus loin en parlant de la violence physique


